LA NUIT DE SANREMO - 27 JANVIER 1967

Publié le 12 février 2025 à 17:08

Alors que le Festival 2025 bat son plein, le souvenir de la mort mystérieuse en 1967 du chanteur Luigi Tenco n’est jamais très loin. La justice a fini par conclure à un suicide, mais de nombreuses zones d’ombres demeurent. Le journaliste français Philippe Brunel, s’est penché sur la question en repartant sur les lieux du drame et en rencontrant les quelques rares témoins de cette époque, essayant de comprendre ce qu’il s’est réellement passé cette nuit-là. Son livre s'intitule "La nuit de Sanremo".

Janvier 1967. La chanson « Ciao, amore, ciao » écrite et composée par un ténébreux chanteur de 28 ans, Luigi Tenco, est interprétée au Festival de Sanremo par Dalida et Tenco. Selon les règles du festival, chaque chanson doit être interprétée séparément par deux artistes (chanteurs solos ou groupes). Dalida est déjà une vedette de la chanson en France tandis que Luigi Tenco, de cinq ans plus jeune qu’elle, est un chanteur prometteur en Italie. Ils vivent une relation passionnelle, parfois interprétée comme une stratégie promotionnelle avec un éventuel mariage à la clé. Il se dit que Tenco, homme profond et engagé, n’apprécie pas spécialement « Ciao, amore, ciao » et que c’est Dalida qui l’a encouragé à présenter ce titre rageur au festival de Sanremo.

La prestation de Luigi Tenco, qui sous la pression a consommé de l’alcool et des tranquillisants, est médiocre et mal accueillie par le public et le jury. La performance de Dalida est bien meilleure, beaucoup plus appréciée. Mais ce n’est pas suffisant pour sauver le duo et la chanson est éliminée dès le premier tour. Tenco l’écorché vif est furieux. Il estime que les chansons retenues sont mièvres et sans intérêt. La chanson repêchée « La rivoluzione » est la cause d’un mini scandale, le journaliste Ugo Zatterin, membre du jury ayant imposé ce repêchage, se dispute avec l’un des jurés.

Tenco quitte les lieux, refuse d’aller dîner avec Dalida et ses proches et se réfugie dans sa chambre de l’Hôtel Savoia.

Luigi Tenco, Sanremo 1967 (son original)

Dalida, Sanremo 1967, répétitions

C’est vers 2H30 du matin que Dalida rejoint son compagnon à l’hôtel. Luigi Tenco est allongé sur le sol. Elle le pense endormi, assommé par l’alcool et les médicaments, mais sa tête est ensanglantée. Tenco, après son échec, s’est tiré une balle dans la tempe. Dalida découvre également une lettre écrite de la main de son compagnon : "Je n’ai voulu que le bien au public italien et je lui ai consacré inutilement cinq ans de ma vie. Je fais ceci non parce que je suis fatigué de la vie (pas du tout), mais comme un acte de protestation contre un public qui envoie « Io tu e le rose » en finale et contre une commission qui sélectionne « La rivoluzione ». J'espère que cela servira à ouvrir des yeux. Ciao. Luigi. » 

L’enquête qui suit est purement bâclée. Le corps de Tenco est emmené rapidement à la morgue, tellement rapidement que faute de relevés précis, il faut le ramener et le redéposer dans la chambre d’hôtel car les enquêteurs ont oublié de faire les photos d’usage. L’arme apparaît puis disparaît de la scène du suicide. Le mot laissé par Tenco est rempli de fautes d’orthographe. Le commissaire chargé de l’enquête, Arrigo Molinari, a déclaré dans une émission de télévision en 2004 qu’il était certain que Tengo ne s’était pas suicidé et que lui-même avait été empêché d’enquêter correctement. Il dénonce les pressions exercées par la RAI pour qu'il garde le silence, allant jusqu'à censurer ses déclarations lors d'une émission dédiée à l'affaire.

Ce qui est sûr, c’est que Arrigo Molinari, membre de la loge P2 (Propaganda Due, repaire pseudo-maçonnique d’importants personnages de l’État italien et de grands officiers militaires dont le programme était de former une nouvelle élite politique et économique de droite et autoritaire, tendance fasciste, basé sur une vaste corruption politique) a tout fait pour détourner l’enquête.

Selon l’écrivain Aldo Colonna, qui a lui aussi enquêté sur la mort de Luigi Tenco en étudiant les rapports médico-légaux et balistiques, la théorie du suicide ne tient pas. La mort du chanteur ressemble plutôt à une exécution. Colonna avance l’idée que Tenco a voulu révéler la corruption qui décide des résultats du festival de Sanremo (résultats truqués, influence des maisons de disques) et qu’il en est mort, éliminé par le milieu marseillais.

Le bouquin de Philippe Brunel pose également certaines questions non résolues et qui ne le seront sans doute jamais : pourquoi un droitier se tirerait-il une balle dans la tempe gauche ? Où est passé le projectile qui n’a jamais été retrouvé, ni dans le crâne, ni dans la chambre ? Et surtout, quel est le rôle de Dalida dans cette affaire, elle dont l’attitude étrange n’a pas fini d’étonner : interrogée sommairement, elle quitte Sanremo dans la nuit après la découverte du cadavre de son compagnon, et elle n’assiste pas à ses obsèques alors qu’elle porte le deuil en France. Craignait-elle pour sa vie ? Que faisait son ex-mari et impresario Lucien Morisse sur les lieux du drame ?

Un mois plus tard, le 26 février 1967, Dalida tente de mettre fin à ses jours à l’Hôtel Prince de Galles à Paris, en absorbant des barbituriques.

En décembre 2005, le corps de Luigi Tenco est exhumé dans le but de clarifier les circonstances de sa mort. En février 2006, l'affaire Tenco est considérée comme close. Bien que la thèse du suicide soit réaffirmée par la justice, des rumeurs d'assassinat persistent.

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.